Je ne les ai pas oubliés, même dans mes instants de folie. Même dans mes moments d'égarement. Ils me hantent, me parasitent l'esprit. Et là se pose le dilemme. Où je dois choisir entre le devoir de mémoire et la sérénité. Ils méritent mon sacrifice.
***
Je les entends. Ils martèlent mes tempes sans discontinuer. Ils envahissent le moindre de mes songes. Hommes. Femmes. Enfants... Je n'ai rien oublié. Telle est ma sentence.
Mes nuits sont la continuité de la tragédie, chaque jour, ils revivent et plantent les griffes acérées de leur vengeance dans mon crâne. Si je dois avoir un regret... Celui de ne pas être parti avec eux. D'avoir choisi une autre voie, pire peut-être. Une voie qui me cause les pires tourments. Je l'accepte.
***
Je revois sa chevelure brune, ses yeux aigue-marine, les fossettes qu'il a héritées de sa mère. Il aura bientôt six ans, dans quelques mois seulement, et sera peut-être aussi haut que la barre cette fois. Sacré petit bonhomme. Il aime déjà lire et déchiffre les quelques bouquins que je lui apporte, même s'il n'y comprend rien ; mais le réflexe est là, ancré. J'aimerais qu'il suive les traces de ses parents, qu'il ne se soumette qu'à sa liberté et à ses désirs, pas à ceux du Conseil. Il sera un grand homme, c'est certain.
Il dort, mais je l'entends encore jouer sur le pont en criant à l'abordage tout en agitant les petits pirates de plomb que je lui ai forgés.
Dernière édition par Kausken R. Dasvel le Sam 5 Mar 2016 - 18:09, édité 1 fois
Lazare de Malemort Comte de Malemort
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Lun 25 Jan 2016 - 14:51
Naufragé
« Papa ? Regarde ! » Il me tend une pièce d'or qui m'avait échappée. Brave garçon...
***
Les craquements du bois me rendent fou. Plus fou que je ne le suis déjà. La vergue tombe, fracassée, et je ne bouge pas. Qu'est-ce qui me paralyse... Le fait de tout voir partir en fumée ? Les cris des hommes, les pleurs des femmes ? Cette tignasse brune attirée par les intrus... ?
Ils disparaissent tous, et la douleur est intenable. Atroce. Je n'ose même pas y jeter un œil. Mais le monde s'écroule sous mes pieds et je suis emporté, loin, par une force sur laquelle je n'arrive pas à mettre de mots. Mon bras ne répond plus. Le sel brûle, et l'eau érode. Et je m'accroche à ce corail démesuré comme à ma propre vie. Qui défile devant mes yeux plus longtemps que je ne l'aurais voulu.
Une simple erreur peut engendrer des conséquences désatreuses.
***
Faites-les taire bon sang. Je ne suis pas un traître. Je n'ai pas vendu mon âme. Je n'ai rien abandonné.
Il m'a refusé l'entrée, sur le pas de sa porte. Et m'a dit que j'étais bien trop en avance. La douleur n'est pas encore suffisante, je crois. Je te maudis. Tu te dresses comme un rempart là où il n'y aurait dû y avoir aucune frontière. Je te maudis.
Lazare de Malemort Comte de Malemort
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Mer 27 Jan 2016 - 16:29
Moral en hausse
Les gars se mettent à chanter depuis le coup du sloop. Il faut croire qu'on a des artistes parmi eux.
On largue les amarres pour choper l'Kraken, Way, hay, hissez haut, C'est un à zéro que la Covington mène, On prend l'large sur notre beau rafiot !
Vent de dos, oh, vent de près Way, hay, hissez haut, L'ancre a été l'vée et les cordages rangés, On prend l'large sur notre beau rafiot !
Un trou dans la coque et nous v'là au mouillage, Way, hay, hissez haut, Les gars impatients s'en iront à la nage, On prend l'large sur notre beau rafiot !
Vent de dos, oh, vent de près Way, hay, hissez haut, L'ancre a été l'vée et les cordages rangés, On prend l'large sur notre beau rafiot !
Y a deux de nos gars qui ont manqué l'appel, Way, hay, hissez haut, Un qu'était basané et l'autre une donzelle, On prend l'large sur notre beau rafiot !
Vent de dos, oh, vent de près Way, hay, hissez haut, L'ancre a été l'vée et les cordages rangés, On prend l'large sur notre beau rafiot !
Les postes sont pourvus, le cap est sur l'Arche ! Way, hay, hissez haut, Les gars sur le pont, la Belladone en marche, On prend l'large sur notre beau rafiot !
Vent de dos, oh, vent de près Way, hay, hissez haut, L'ancre a été l'vée et les cordages rangés, On prend l'large sur notre beau rafiot !
C'est un sloop blanc qu'a coulé par le fond, Way, hay, hissez haut, Cinq tirs aux canons et une grosse explosion, On r'prend l'large sur notre beau rafiot !
Lazare de Malemort Comte de Malemort
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Jeu 28 Jan 2016 - 21:08
Géhenne...
Mon épaule souffre. Les jours passent et la douleur fantôme ancrée dans ma chair exhume les réminiscences de cette vergue arrachée à son mât, chutant d'un piédestal qui n'aurait jamais dû s'en délester, jusqu'à venir arracher ma motricité encore saine. Mes nerfs pulsent sans cesse, refoulant les souvenirs éprouvants de ce jour jusqu'à mes tempes qui appellent à l'aide... comme j'ai appelé à l'aide. Ces câbles ponctionnent l'essence de tous mes mouvements, ces pistons sont un sifflement désagréable à mon oreille. Le cuir l'étouffe.
***
Penser à : - Cultiver une autre espèce de papaver somniferum. - Modifier la structure moléculaire de la MRF58-x34 - Stabiliser son état liquide. - Tests cliniques. - Affûtage. - Commande 26b-DSS à finaliser. - PAIA
***
Je perds en réactivité. Les impulsions s'affaiblissent. Je n'ai plus de stabilisateur, les prochains jours vont être harassant, il ne reste plus beaucoup de temps. Je dois faire vite. Il me faut une technologie plus pointue. Plus sensible. Paia fera le reste, des calculs m'attendent. Anhydre.
***
Encore une opération, je suis fatigué.
Lazare de Malemort Comte de Malemort
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Ven 29 Jan 2016 - 4:42
Dans une autre vie...
Tu te souviens ? Le Bourreau Hurlant à quai, il fait beau, ce jour-là. Les pontons sont pris d'assaut, tu mènes tes nouveaux gars à la baguette. Tu es jeune, ce jour-là. Je me rappelle ta crinière brune dont les quelques mèches tressées se finissaient par des pièces d'argent que tu as percées. Le foulard bleu que tu mets à ton cou, par pudeur. Ce corset de cuir brut qui te donne une cambrure à tomber. Tes jambes longues, musclées par l'effort, se drapent encore d'un coton blanc amortissant le frottement de tes cuissardes usées. Tu es splendide, ce jour-là. C'est la première fois que je pose le regard sur toi et, tu as beau être inexpérimentée, tu as su rallier tes hommes à ta cause et à ta soif de liberté. Tu m'impressionnes.
Je suis jeune moi aussi. Encore en plein dans l'adolescence, et les rêves de gosse. Et je passe mes journées à surveiller les allées et venues des marins, qu'ils soient pirates ou corsaires, transportant butin ou matériel. Mes yeux sont d'habitude irrémédiablement attirés par les canons qui décorent les sabords. Mais tu es là. Et au beau milieu de cette agitation, tu me parais irréelle. Je te vois pointer une caisse du doigt, froncer les sourcils face à la maladresse de tes matelots, dans une expression sévère qui tranche avec la vingtaine d'années que tu arbores. Pourtant, ils t'obéissent, ils suivent au pas, ils te satisfont. Tu as cette autorité naturelle qui intimide et fascine.
Ce jour-là, c'est le chemin de la liberté que j'ai cru emprunter. Me voilà enchaîné à toi comme une ancre prise dans les algues.
Mais tu sais...
C'est un mouillage que je ne quitterai jamais.
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